Les récentes annonces sur la fiabilisation des bases fiscales ont relancé un débat sensible : celui de la justice et de la précision de la taxe foncière. Pour les territoires ruraux, où le parc de logements est ancien et hétérogène, l’enjeu est d’autant plus crucial. Les Communes ont aussi un rôle à jouer et peuvent aussi participer, dans leur intérêt, à poursuivre la fiabilisation des bases fiscales, sans attendre une réforme globale qui se fait trop attendre.
Une annonce qui a surpris tous les acteurs
Ces derniers jours ont été marqués par les annonces surprises du gouvernement, et en particulier de la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, visant à actualiser les bases fiscales des logements.
Selon Bercy, la taxe foncière devait ainsi augmenter pour 7,4 millions de logements en 2026. Le cabinet de la ministre justifie cette démarche en expliquant qu’il s’agit « d’efficacité et d’équité de l’impôt : que chacun paie selon le type de logement qu’il détient ».
Ces annonces ont toutefois suscité une certaine confusion et de nombreuses incompréhensions, révélant à nouveau la complexité et le caractère daté de nos bases fiscales. Pourtant, l’objectif n’était pas de refondre en profondeur la méthode de calcul de la valeur locative cadastrale – qui reste la base de référence de la taxe foncière – mais bien d’actualiser les données existantes pour les rapprocher de la réalité du parc de logements, en les mettant en conformité avec les règles de calcul déjà en vigueur.
Les annonces du Premier ministre : un report et un changement de méthode
Le 25 novembre 2025, le Premier ministre a annoncé le report de cette opération nationale de fiabilisation et la préparation d’un nouveau calendrier de mise en œuvre, qui devrait être présenté au printemps 2026. Il a indiqué que la démarche ne pouvait pas réussir si elle était conduite exclusivement à un niveau national et qu’elle devait être retravaillée à des échelles plus fines : départementale, infra-départementale, voire communale.
Cette annonce surprise, le choc, puis les annonces du Premier Ministre confirment que la question des bases fiscales ne peut pas être traitée de manière uniforme depuis Paris, sans considérer la diversité des territoires et les représentants des Collectivités.
En quoi consistait cette opération de fiabilisation
Payée par environ 32 millions de propriétaires, la taxe foncière repose sur la surface et sur des critères dits « de confort » : eau courante, électricité, sanitaires, salle d’eau, etc. La présence de ces éléments augmente la “surface corrigée” retenue pour le calcul, et donc mécaniquement le montant de la taxe.
L’« opération de fiabilisation des bases foncières » annoncée en 2026 visait à intégrer ces éléments de confort lorsqu’ils ne l’étaient pas encore dans la base fiscale. D’après plusieurs estimations relayées dans la presse, cette mise à jour conduirait à une hausse moyenne d’environ 60 euros par logement concerné, pour un rendement cumulé évalué à près de 466 millions d’euros au bénéfice des collectivités.
Toutefois ces moyennes faussent complètement l’impact réel et masque les disparités : les territoires urbains, plus dynamiques en terme d’urbanisme, ont des bases fiscales relativement fiables ; tandis que les territoires plus ruraux, à l’habitat plus ancien et dispersé ont des bases fiscales plus anciennes et moins à jour.
Autrement dit, il ne s’agissait pas de changer les règles du jeu, mais de corriger des anomalies et de rattraper des retards de mise à jour afin de fiabiliser les bases et de rapprocher la contribution de chaque contribuable de la réalité de son logement.
Des collectivités déjà engagées sur la fiabilisation des bases
Pour de nombreuses communes, ces annonces peuvent surprendre : depuis plusieurs années, certaines collectivités, grandes ou petites, travaillent déjà à l’actualisation des bases fiscales, c’est à dire les valeurs locatives cadastrales, à partir de leurs propres moyens ou bien avec l’appui d’un prestataire externe.
Dans certaines Communes, des campagnes de vérification ont déjà permis :
- de reclasser des logements devenus confortables mais restant fiscalement traités comme “très modestes”,
- d’identifier des équipements (piscines, extensions, combles aménagés) non intégrés dans les bases,
- ou au contraire de repérer des logements dégradés conservant une catégorie trop élevée.
Beaucoup de communes n’ont pas attendu l’annonce du Gouvernement pour agir, au nom d’une fiabilisation et ud’ne plus grande équité entre contribuables à l’intérieur même de leur territoire. Au contraire, de nombreux gestionnaires soulignent, depuis des années, le manque de réaction de l’Etat suite aux travaux des Communes. Il en ressort une absence de prise en compte des remarques du terrain voire même des absences de réponse/retour concret des services fiscaux.
Sur quels éléments est-il possible d’agir ?
Les catégories de logements
Le Service des Impôts des Particuliers (SIP ; ancien service du cadastre) classe les logements en catégories , de 1 à 8 :
- les plus “luxueux” se rapprochent de la catégorie 1,
- les logements sans confort, en très mauvais état voire en ruine, relèvent des catégories 7 et 8.
- En moyenne, un logement ordinaire, entretenu régulièrement, relève généralement des catégories 4 à 5.
Un premier réflexe utile pour les gestionnaires communaux est de demander à la DGFIP, ou au Conseiller aux Décideurs Locaux (CDL) un des état des logements classés en catégories 8, 7 voire 6M de la commune (6M=catégorie 6 de niveau moyen).).
Sur cette base, la commune peut :
- organiser des visites de terrain avec, les élus, les services administratifs ou l’urbanisme,
- repérer les logements qui ont été rénovés (façades refaites, combles aménagés, rénovations lourdes, etc.) mais dont la classification n’a pas été actualisée,
- signaler ces situations à la DRFIP afin de proposer une révision de catégorie.
À l’inverse, certains logements vieillissants, mal isolés ou dégradés, peuvent conserver une catégorie trop élevée au regard de leur état réel, ce qui pose aussi une question d’équité fiscale.
Examiner les éléments de confort
Les éléments de confort sont un autre levier important : chauffage, salle d’eau, sanitaires…
Chaque élément ajoute des m² à l’assiette de calcul de la valeur locative cadastrale.
Dans de nombreux territoires ruraux, des travaux intérieurs significatifs ont été réalisés au fil des ans sans nécessairement donner lieu à une déclaration d’urbanisme. Le sujet le plus conséquent est l’équipement de chauffage (sur le cadastre, certains biens, n’en disposeraient toujours pas alors que la réalité tend vers l’évidence de la présence d’un chauffage). D’autres éléments sont à considérer comme la création d’une salle de bain, l’installation de sanitaires, etc.). Ces améliorations n’ont pas toujours été portées à la connaissance de l’administration fiscale.
Dans ce cadre, la mairie peut :
- solliciter auprès de la DGFIP ou du centre des finances publiques, avec l’appui du correspondant “collectivités locales” (CDL), des listes agrégées de logements dépourvus de certains éléments de confort (logements sans mode de chauffage, sans salle d’eau, etc.),
- croiser ces informations avec la connaissance locale (élus, services techniques, urbanisme, visites sur site),
- faire remonter à la DGFIP une liste argumentée d’anomalies à corriger.
Les piscines et les annexes
Les piscines et certaines annexes (extensions, dépendances de loisir, etc.) constituent également un gisement important de fiabilisation.
La commune peut par exemple :
- comparer les autorisations d’urbanisme délivrées pour piscines et aménagements extérieurs avec les éléments effectivement présents sur le terrain,
- signaler à la DGFIP les situations manifestement non intégrées dans les bases fiscales pour une imposition d’office.
Un enjeu particulier pour les territoires ruraux
Les territoires ruraux sont souvent les moins bien dotés en ingénierie, tout en ayant un parc de logements ancien, très hétérogène et parfois largement réhabilité “par étapes”.
D’anciens hameaux, longères ou corps de ferme, parfois classés historiquement en “ruine” ou en logement très dégradé, ont été rénovés en profondeur, avec un confort désormais comparable à celui d’un pavillon récent. Il faut dire qu’une part importante des travaux réalisés à l’intérieur ne passe pas par des autorisations d’urbanisme (changement de chaudières, création de salles de bain, isolation intérieure, etc.) et échappe donc aux radars fiscaux.
Pour des communes rurales aux marges de manœuvre financières limitées, une fiabilisation progressive des bases peut permettre à la fois d’améliorer l’équité fiscale interne et de sécuriser des recettes, sans modifier les taux.
Vers une réforme plus globale ?
Le changement de méthode annoncé par le Premier ministre, avec un travail plus localisé, associant davantage les collectivités, peut être une opportunité s’il s’accompagne d’une réelle coopération avec les Communes.
À plus long terme, la question de fond demeure : les valeurs locatives actuelles reflètent-elles encore :
- la réalité des marchés immobiliers locaux ?
- et la capacité contributive des propriétaires de logement du territoire ?
Une réforme plus profonde des bases de fiscalité locale, intégrant mieux ces dimensions, reste un second temps nécessaire. La fiabilisation des données existantes ne doit pas faire oublier cette exigence structurelle.