Avec l’entrée en vigueur du Pacte vert pour l’Europe en 2019, l’Union européenne a ouvert une nouvelle page de son action pour le climat. En France, l’État a choisi de traduire cet engagement par une innovation budgétaire ambitieuse : la budgétisation verte.
Depuis 2021, cette dernière vise à classifier les dépenses et recettes publiques selon leur impact environnemental. Un objectif louable : intégrer les enjeux climatiques dans les décisions budgétaires. Mais dans les faits, pour les collectivités locales, et en particulier les petites et moyennes communes, cette belle idée vire au cauchemar administratif.
📊 Ce que dit la loi
L’article 191 de la loi de finances 2024 impose désormais aux collectivités de plus de 3 500 habitants une nouvelle annexe environnementale au compte administratif (CA) ou au compte financier unique (CFU). Cette annexe, encadrée par un décret du 16 juillet 2024, vise à mesurer l’impact environnemental des budgets locaux.
La classification des dépenses s’articule autour de grandes thématiques environnementales :
- 🌡 Lutte contre le changement climatique
- 🌀 Adaptation et prévention des risques naturels
- 💧 Gestion de la ressource en eau
- ♻ Transition vers l’économie circulaire et gestion des déchets
- 🛡 Lutte contre les pollutions
- 🌳 Préservation de la biodiversité et des espaces naturels
Pour chaque dépense concernée (principalement des investissements), les services doivent attribuer un impact favorable, neutre ou défavorable sur l’environnement.
⚠ Une obligation aux allures de punition pour les collectivités
Soyons clairs : cette mesure est une véritable usine à gaz.
Elle exige un travail croisé entre les services techniques, les services finances et les élus, pour classifier des dépenses dont l’impact environnemental est souvent difficile à déterminer.
🔍 Quelques exemples concrets :
- Réfection d’une voirie urbaine : favorable si elle intègre des matériaux recyclés et la réduction de l’emprise automobile, neutre ou défavorable si elle favorise l’étalement urbain.
- Construction d’un gymnase : favorable s’il est à énergie passive, neutre s’il n’est pas exemplaire, défavorable si situé en zone humide ?
- Création d’un parking perméable : impact favorable sur les eaux de ruissellement, mais défavorable à la lutte contre l’usage de la voiture ?
En vérité, très peu de dépenses ont un impact parfaitement lisible, et ce fléchage devient une opération de pédagogie technocratique, parfois absurde.
🧱 Une démarche jacobine et inefficace
Alors que les collectivités locales réalisent près de 60 % de l’investissement public, cette nouvelle obligation reflète une méfiance de l’État envers les territoires. Plutôt qu’un partenariat de transition, on leur impose un cadre rigide, inadapté et uniformisé.
👎 L’application inégale et peu lisible
Les premiers retours lors des présentations de CA/CFU 2024 sont sans appel :
- Présentations très hétérogènes d’un territoire à l’autre ;
- Des collectivités qui renoncent à l’annexe pour ne pas présenter un document qu’elles jugent abscons ou sans utilité ;
- Une perte de sens, et une lourdeur administrative qui détourne du vrai sujet.
- Des financeurs comme l’État (DETR, DSIL) ou l’ADEME pourraient conditionner leurs aides à la complétude de l’annexe environnementale, mais on peine à comprendre comment cela serait concrètement appliqué
📚 Par ailleurs les guides méthodologiques dépassent plusieurs centaines de pages. Faut-il être à la fois ingénieur environnemental et expert-comptable pour produire un CA aujourd’hui ?
✅ Il y avait pourtant mieux à faire
Plutôt que de flécher rétroactivement les dépenses passées, n’aurait-il pas été plus efficace d’inciter les collectivités à investir dans des opérations vertueuses pour l’avenir ?
💡 Une budgétisation verte tournée vers l’avenir, intégrée dans un Plan Pluriannuel d’Investissement vert, aurait été plus lisible, plus motivante et plus conforme aux pratiques de planification des collectivités.
🎯 Inciter, accompagner, cofinancer… voilà les leviers que l’État devrait activer, au lieu d’ajouter un énième tableau illisible dans des documents budgétaires déjà surchargés.
L’objectif de la transition énergétique et environnementale ne se fera pas avec une annexe budgétaire, mais bien avec une visibilité à long terme sur les moyens financiers alloués.
🏡 Et les communes rurales ? leur rôle n’est pas considéré
Seules les collectivités de plus de 3 500 habitants sont concernées. Une bonne nouvelle pour les petites communes, en quelque sorte : mais quelle vision réductrice du monde rural !
Alors même que ces territoires sont les garants de la biodiversité, des espaces naturels, de la forêt, de l’eau, on les écarte de l’analyse environnementale, comme s’ils n’étaient pas acteurs majeurs de la transition.
👉 Ce choix démontre encore une fois l’omission implicite de l’État pour les petites collectivités, considérées comme incapables de contribuer, alors qu’elles sont en première ligne pour préserver les ressources naturelles.